Dans le giron du catch, les effectifs se renouvellent car l’engouement suscité par le grand show convoque de nouveaux clients. Adolescents et jeunes adultes des deux sexes dont le recrutement social comme les équipements culturels se sont diversifiés, investissent désormais les tréteaux du catch amateur. De nouvelles scénographies visuelles, ambiances sonores et dramaturgies morales se mettent en place ; elles viennent distraire un public de kermesse particulièrement réceptif aux détournements ironiques de la grande farce du chiqué. Amateurs de sensations
fortes et de spectacles télégéniques, ces nouveaux comédiens du ring mettent un soin particulier à incarner des personnages dont les référents scéniques et les registres mythologiques s’alimentent à tout un répertoire générationnel de la culture mainstream.
On sait depuis Roland Barthes, que dans la mascarade du catch, l’excès n’est jamais en reste : comme son gimmick ou son sobriquet, le personnage de scène du lutteur est un corps spectacle parfaitement lisible dans ses intentions, chacun de ses gestes devient une grimace surdimensionnée, chaque posture un prétexte pour simuler la vérité du combat, évaluer la moralité de ses participants, transgresser jusqu’à la caricature, tabous et interdits de l’esprit sportif.
Attentif au travail des coulisses, l’oeil aiguisé du photographe David Helman vient débusquer dans cette panoplie de clichés, les ressorts par lesquels le spectacle du catch se met en scène et accomplit sa fonction de divertissement. Loin de la surenchère du show américain, la prise de vue sur fond noir, volontairement théâtralisée, propose une galerie de portraits très soignée de lutteurs et de lutteuses, arbitre compris. Dans ses intentions de représentation, l’exercice de captation de ce matériau scénique n’est pas sans rappeler une certaine filiation avec ce que donnait à voir jadis « la grande et vénérable tradition de la lutte au chiqué ». Le rendu précis et lumineux des costumes de scène figés dans des postures particulièrement expressives (la grâce du catcheur ninja) tient de la cartographie colorée à laquelle sont sensibles les jeunes aficionados. Le masque mexicain porté avec fierté par l’un d’entre eux, dit, avec jubilation, la complicité qui lie la scène à la
salle.
Au catch, le tempérament se lit dans la chair offerte aux regards, le lien qui peut exister entre la physionomie et la psychologie. À la nouvelle école du catch, les tenues d’apparat, les corpulences, les mimiques sont plus subtiles ; elles dévoilent une agilité dans la manipulation des codes physiques, moraux et esthétiques. Une
nouvelle rhétorique du clin d’oeil s’est subrepticement insinuée dans les interstices de la mise en spectacle. On saura gré à l’art du photographe d’avoir su en saisir avec discernement, les secrets de fabrication.